mercredi 13 janvier 2016

You never forget your first Bowie

Dans la série télévisée anglaise culte, Doctor Who, le personnage principal est un alien qui se régénère en une nouvelle apparence physique à sa mort. Le ressort scénaristique permet de faire jouer le personnage par un acteur complètement différent, et de lui faire prendre de multiples personnalités et apparences physiques. La légende veut que chaque personne s'attache en particulier au Docteur qu'elle a découvert en premier.

Dans mon cas, c'est Christopher Eccleston, le neuvième Docteur.
La légende, donc, veut qu'on n'oublie jamais son premier Docteur. You never forget your first Doctor.

C'est pareil pour David Bowie. Quelle que soit la beauté de Life on Mars ou de Space Oddity, il reste toujours, au fond du cerveau de ceux qui ont entendu et apprécié Bowie la première image qu'on a eu de lui.
J'ai grandi dans une famille pas franchement fan de musique. Par contre, mon grand frère et moi-même étions fans de jeux vidéos. Alors, la première fois que j'ai rencontré Bowie, c'était comme ça :



Puis j'ai emprunté un album à la médiathèque. Il n'y en avait qu'un. J'avais entendu que c'était un artiste culte. Je voulais me cultiver. J'ai donc écouté Reality.



Dans Reality, il y a des morceaux qui m'ont beaucoup émue et aujourd'hui encore, alors que je les réécoute après la mort de Bowie. Bring me the Disco King, avec sa mélancolie. Pablo Picasso, reprise grinçante d'une chanson déjà très drôle de Jonathan Richman. Never gonna get old, qui dit entre autres, qu'il n'y aura jamais assez d'argent, assez de sexe, je ne deviendrai jamais vieille. Je me rappelle de l'avoir écouté, encore et encore, dans mon baladeur CD. Des souvenirs de lycée reviennent.

Et pourtant, il a fallu des années avant que je revienne à Bowie. Il a fallu des amis, il a fallu un amoureux, pour que je retrouve The Man Who Sold the World, que j'écoute enfin Life on Mars, que j'ai écouté en boucle et qui doit encore se retrouver assez haut dans mes statistiques Last FM. Il a fallu la série Life on Mars. Et puis, j'ai dansé, et chanté sur Suffragette City, et le titre de cet article aurait aussi bien pu être "Wham Bam Thank you M'am". J'ai vu plusieurs fois Velvet Goldmine, vraie-fausse biographie de Bowie, avec des paillettes, Ewan MacGregor nu, de la musique glam rock, et un jeune Christian Bale. Le tout sans vrai Bowie.

Bref, je suis arrivée à Bowie par la pop culture. Je ne le regrette pas. J'ai découvert, en m'essayant à un artist culte, en lisant des articles dans Phosphore, en jouant aux jeux vidéos, en voulant partager quelque chose avec des amis, un artiste qui m'a souvent surprise, beaucoup fait danser, beaucoup fait pleurer. Et il me reste beaucoup à découvrir, des piles d'albums à écouter, pour mieux entendre l'homme qui faisait danser dans la rue. Mais je n'oublierai jamais mon premier Bowie, animation en basse définition, musique en haute définition dans un monde de jeu vidéo dystopique et passionnant.


samedi 28 janvier 2012

Jet Set Junta

La première chose qui m'a séduite dans Jet Set Junta, c'est le clip.

L'immobilité sans expression des membres du groupe, particulièrement marquante dans la joueuse de tambourin, cachée sous un béret noir et des lunettes de soleil. Le batteur garde tranquillement son rythme, le chanteur déroule sa mélodie d'une voix calme, posée. Le guitariste, lui, est l'image même du cool des années 80. Une pose nonchalante, mais pas trop, un solo parfaitement maîtrisé à l'image, comme son brushing. Du grand art.

La chanson elle même commence par un petit sifflotement, avant d'entrer dans le vif du sujet. Et vivacité du sujet il y a, vu que la chanson dure à peine deux minutes, il faut faire vite.

Je sens bien en l'écoutant qu'il y a quelque chose de très inquiétant. Jet Set Junta n'utilise pas le mot "junte" à la légère. Il y a une menace sourde dans ce refrain Here we come the jet set junta. Je n'ai pas envie que cette junte arrive, et surtout pas sur ce ton triomphal. En lisant les paroles, je me rends compte d'où vient ce malaise. Elles décrivent une dictature sud-américaine, avec l'exploitation des petits paysans, le luxe indécent, la violence policière et la torture qui l'accompagnent de manière habituelle. La dernière ligne,

Rattle, rattle, goes the bullet round and round the roulette wheel

résume tout cela en une seule image qui elle même tourne, tourne en rond, celle de la balle de fusil qui, perpétuellement, tourne dans la roulette du casino. Et les sonorités qui se répètent renforcent cette impression.

Les onomatopées qui introduisent chaque ligne, effet stylistique peut-être un peu lourd, me donnent pourtant l'impression que les bruits s'insèrent dans la musique.

La brièveté de la chanson et la brutalité de sa conclusion font qu'elle a tourné, longtemps, en boucle. Je ne pouvais m'arrêter d'écouter cette sèche prononciation, je ne pouvais me détacher de ce sentiment de malaise croissant.



Jet Set Junta
The Monochrome Set



Tick, tock, go the death watch beetles in él presidente’s swill
Pop, pop, goes the Cliquot magnum at the reading of the will
Hiss, hiss, goes the snakeskin wallet stuffed with Cruziero bills

Here we come, the jet set junta
Here we come, the jet set junta

Broom, broom, goes the armoured Cadillac through Montevideo
Rat-a-tat goes the sub-machine gun to restore the status quo
Snip, snip, go the tailor’s scissors on the suit in Saville Row

Here we come, the jet set junta
Here we come, the jet set junta

Thud, thud, goes the rubber truncheon on the Indian peon’s heel
Buzz, buzz, go the brass electrodes as the flesh begins to peel
Rattle, rattle, goes the bullet round and round the roulette wheel

Urban Guerilla

Juillet 1973. Hawkwind sort son nouveau single, Urban Guerilla, écrit et interprété par Robert Calvert, poète et chanteur qui fit un temps partie du groupe. Au même moment, ailleurs au Royaume-Uni, les différents partis impliqués dans les "événements d'Irlande du Nord" (encore appelés aujourd'hui The Troubles, je vous laisse apprécier la litote) ne réussissent pas à atteindre un accord satisfaisant pour tous. L'IRA, déjà passablement mécontente, et qui n'en est pas à son premier acte de violence, décide de lancer une séries d'attentats en territoire britannique, dont à Londres même.

La chanson, dont les ventes avaient pourtant plutôt bien commencé, se retrouve interdite par la BBC. Il faut dire qu'elle met en scène un protagoniste qui fait des bombes dans sa cave et refuse de parler de choses qui n'explosent pas. N'oublions pas que, avant la fin de la décennie, le Royaume Uni serait condamné par la Cour Européenne des Droits de l'Homme pour traitements inhumains et dégradants (pas torture, non) sur les prisonniers politiques en Irlande du Nord.

Remettre cette chanson dans son contexte permet de comprendre le scandale, et la colère. Les années Flower Power sont passées, et elles n'ont rien laissé. Début des années 70, le Royaume Uni est "The Sick Man of Europe", quand à la fin des années 50, son premier ministre disait "You've never had it so good". Urban Guerilla illustre cette violence et ce désenchantement.

Urban Guerilla
La chanson commence par un riff de guitare rageur et très agressif, bientôt rejoint par une ligne de basse groovy. Puis la voix de Robert Calvert attaque, et il annonce la couleur dès le départ.

I'm an urban guerilla, I make bombs in my cellar

Il coche au départ toutes les cases du marginal, du révolutionnaire anti-social, qui perd son sang-froid, qui vit dans un taudis et qui est probablement en réalité un tueur psychopathe.

I'm a derelict dweller, I'm a potential killer

Mais Hawkwind n'est pas un groupe punk. Ils réenchantent le monde, ou au moins ils essayent :

I'm a street fighting dancer, I'm a revolutionary romancer

Les responsables de la désintégration du monde ? Probablement ce businessman à qui le chanteur s'adresse directement :

So watch out Mr Businessman, your empire's about to blow, you know I think you had better listen man, in case you did not know

Plus loin, le chanteur est à la fois "society's destructor, a petrol bomb constructor, a cosmic light conductor, the people's debt collector". Il est à la fois cette force destructrice et un relais pour la lumière cosmique. Toute la chansons évoque ce balancement entre un monde contemporain à attaquer, à faire exploser, et la magie, l'art, les fleurs, la dance, le romantisme fou de ce guérillero urbain. Bien sûr, il y a de la mythologie Che Guevarienne dans cette vision. Mais c'est cela qui fait que cette chanson tournait en boucle dans ma tête et dans mes oreilles. La combinaison entre la volonté de faire exploser un monde qui ne satisfait pas, et la conviction que si je dois être un "street fighter", autant que je danse en même temps.

lundi 14 mars 2011

Gloria

Mettons-nous d'accord dès le départ. Je parle de la version de Patti Smith. Pas de l'originale de Them, ni de la reprise très connue des Doors.

Patti et moi, c'est une histoire d'amour qui a commencé par cette chanson. Un jour, allongée sur mon lit, les yeux probablement fixés sur le plafond comme fort souvent à une période, j'écoutais la radio. Et puis un présentateur parle d'elle. Je ne la connais pas, mais la description me plaît. Et puis sans transition, la chanson commence.

Jesus died for somebody's sins but not mine.

Une voix grave, qui vient faire trembler quelque chose dans mon organisme étendu sur les couvertures. (et je découvrirai plus tard que l'effet est encore amplifié quand la voix est précédé du grésillement de la tête de la platine vinyle.)

meltin' in a pot of thieves
wild card up my sleeve
thick heart of stone
my sins my own
they belong to me, me


Je ne comprends pas tout ce qu'elle chante. Mais je comprends la fin de ce monologue, qui n'apparaît pas dans la version de Van Morrisson. Mes péchés m'appartiennent, à moi, à moi. De la chanson de Them, il ne reste que peu de choses. La mélodie, le refrain, le thème de la passion pour Gloria, quelques bribes de phrases (she comes to my house/She knocks upon my door). Le reste, il vient de l'écriture de Patti.

La chanson est ensuite un crescendo, qui raconte une histoire d'ennui, de séduction, de passion, de fascination. Un prénom scandé, qui pourrait aussi bien être un appel à Dieu, une louange. Pour comprendre véritablement l'énergie absolue qui se dégage de la chanson, il faut l'entendre jouer en concert. Il faut voir Patti, 64 ans aujourd'hui, danser, chanter, entraîner la foule, avec le groupe derrière elle qui la soutient et la porte. Ici en 2010, aux Déferlantes d'Argelès

La première fois que je l'ai écoutée, et les premières années où elle a tourné en boucle sur mes différents lecteurs, cette chanson, j'ai été marquée par son immédiateté poétique, et son énergie. Aujourd'hui, je frissonne toujours, tout en admirant la puissance et le culot de cette femme, qui vient jouer du rock sur le territoire des hommes, et le fait avec brio et une incroyable puissance.

dimanche 10 octobre 2010

Chelsea Hotel #2

Birmingham. Hiver 2007-2008. La nuit qui tombe à 16 heures. Les amis de l'autre côté de la mer.


Laure et moi discutons. Nous parlons de Leonard Cohen. Elle m'envoie Chelsea Hotel #2

I remember you well in the Chelsea Hotel chante la voix grave de Leonard Cohen. C'est une voix qui m'évoque toujours une tristesse sans fond. Et pourtant, les premières phrases sont chantées avec une douceur et une tendresse qui ne sont pas morbides. Le you est mort, certes, mais son absence n'a pas effacé le souvenir d'elle, au Chelsea Hotel, dans une histoire d'amour dont on ne sait presque rien. En se replongeant dans ce moment particulier, le chanteur se souvient du tableau plus large du New York dans lequel il a vécu. Il se souvient d'elle, dont le "coeur était une légende". Il pleure son départ, il loue son courage. Même son départ est un geste empreint d'élégance et de détermination. You just turned you back on the crowd.

Mais là où mon coeur se fend, le passage qui fait que cette chanson, je l'ai entendue dans mon sommeil pendant des semaines, c'est l'expression du désespoir. And clenching your fist/For the ones like us/ Who are oppressed by the figures of beauty A cette obsession, à ce besoin de beauté dans le monde et dans sa vie propre s'oppose la réalité d'un monde, dont elle a choisi de s'échapper. Elle essaie pourtant. You fixed yourself/You said "Well nevermind,/ we are ugly but we have the music" Même si nous, et le monde, sommes laids, il reste la musique. Nous avons la musique.

Et puis il y a la conclusion. Avec douceur, Leonard Cohen rappelle la réalité des choses. Non, Janis Joplin n'a pas été son grand amour, non, il ne se souvient pas d'elle à chaque jour qui passe. Mais ce moment au Chelsea Hotel a été suffisamment beau pour qu'il en fasse une chanson, malgré le monde autour, et eux-mêmes, qui n'arrivaient pas à la hauteur de leur idéal de beauté.

Pendant tout le morceau, la guitare reste calme. Les grandes envolées lyriques, ça n'est pas pour cette chanson là, pas pour ce moment là, pas pour ce chanteur là non plus.


Alors, dans le froid de Birmingham, entre les bâtiments en brique rouge de l'université, Leonard Cohen me rappelait doucement qu'il me restait la musique.


Chelsea Hotel #2


I remember you well in the Chelsea Hotel,
you were talking so brave and so sweet,
giving me head on the unmade bed,
while the limousines wait in the street.
Those were the reasons and that was New York,
we were running for the money and the flesh.
And that was called love for the workers in song
probably still is for those of them left.

Ah but you got away, didn't you babe,
you just turned your back on the crowd,
you got away, I never once heard you say,
I need you, I don't need you,
I need you, I don't need you
and all of that jiving around.

I remember you well in the Chelsea Hotel
you were famous, your heart was a legend.
You told me again you preferred handsome men
but for me you would make an exception.
And clenching your fist for the ones like us
who are oppressed by the figures of beauty,
you fixed yourself, you said, "Well never mind,
we are ugly but we have the music."

And then you got away, didn't you babe...

I don't mean to suggest that I loved you the best,
I can't keep track of each fallen robin.
I remember you well in the Chelsea Hotel,
that's all, I don't even think of you that often.