samedi 28 janvier 2012

Jet Set Junta

La première chose qui m'a séduite dans Jet Set Junta, c'est le clip.

L'immobilité sans expression des membres du groupe, particulièrement marquante dans la joueuse de tambourin, cachée sous un béret noir et des lunettes de soleil. Le batteur garde tranquillement son rythme, le chanteur déroule sa mélodie d'une voix calme, posée. Le guitariste, lui, est l'image même du cool des années 80. Une pose nonchalante, mais pas trop, un solo parfaitement maîtrisé à l'image, comme son brushing. Du grand art.

La chanson elle même commence par un petit sifflotement, avant d'entrer dans le vif du sujet. Et vivacité du sujet il y a, vu que la chanson dure à peine deux minutes, il faut faire vite.

Je sens bien en l'écoutant qu'il y a quelque chose de très inquiétant. Jet Set Junta n'utilise pas le mot "junte" à la légère. Il y a une menace sourde dans ce refrain Here we come the jet set junta. Je n'ai pas envie que cette junte arrive, et surtout pas sur ce ton triomphal. En lisant les paroles, je me rends compte d'où vient ce malaise. Elles décrivent une dictature sud-américaine, avec l'exploitation des petits paysans, le luxe indécent, la violence policière et la torture qui l'accompagnent de manière habituelle. La dernière ligne,

Rattle, rattle, goes the bullet round and round the roulette wheel

résume tout cela en une seule image qui elle même tourne, tourne en rond, celle de la balle de fusil qui, perpétuellement, tourne dans la roulette du casino. Et les sonorités qui se répètent renforcent cette impression.

Les onomatopées qui introduisent chaque ligne, effet stylistique peut-être un peu lourd, me donnent pourtant l'impression que les bruits s'insèrent dans la musique.

La brièveté de la chanson et la brutalité de sa conclusion font qu'elle a tourné, longtemps, en boucle. Je ne pouvais m'arrêter d'écouter cette sèche prononciation, je ne pouvais me détacher de ce sentiment de malaise croissant.



Jet Set Junta
The Monochrome Set



Tick, tock, go the death watch beetles in él presidente’s swill
Pop, pop, goes the Cliquot magnum at the reading of the will
Hiss, hiss, goes the snakeskin wallet stuffed with Cruziero bills

Here we come, the jet set junta
Here we come, the jet set junta

Broom, broom, goes the armoured Cadillac through Montevideo
Rat-a-tat goes the sub-machine gun to restore the status quo
Snip, snip, go the tailor’s scissors on the suit in Saville Row

Here we come, the jet set junta
Here we come, the jet set junta

Thud, thud, goes the rubber truncheon on the Indian peon’s heel
Buzz, buzz, go the brass electrodes as the flesh begins to peel
Rattle, rattle, goes the bullet round and round the roulette wheel

Urban Guerilla

Juillet 1973. Hawkwind sort son nouveau single, Urban Guerilla, écrit et interprété par Robert Calvert, poète et chanteur qui fit un temps partie du groupe. Au même moment, ailleurs au Royaume-Uni, les différents partis impliqués dans les "événements d'Irlande du Nord" (encore appelés aujourd'hui The Troubles, je vous laisse apprécier la litote) ne réussissent pas à atteindre un accord satisfaisant pour tous. L'IRA, déjà passablement mécontente, et qui n'en est pas à son premier acte de violence, décide de lancer une séries d'attentats en territoire britannique, dont à Londres même.

La chanson, dont les ventes avaient pourtant plutôt bien commencé, se retrouve interdite par la BBC. Il faut dire qu'elle met en scène un protagoniste qui fait des bombes dans sa cave et refuse de parler de choses qui n'explosent pas. N'oublions pas que, avant la fin de la décennie, le Royaume Uni serait condamné par la Cour Européenne des Droits de l'Homme pour traitements inhumains et dégradants (pas torture, non) sur les prisonniers politiques en Irlande du Nord.

Remettre cette chanson dans son contexte permet de comprendre le scandale, et la colère. Les années Flower Power sont passées, et elles n'ont rien laissé. Début des années 70, le Royaume Uni est "The Sick Man of Europe", quand à la fin des années 50, son premier ministre disait "You've never had it so good". Urban Guerilla illustre cette violence et ce désenchantement.

Urban Guerilla
La chanson commence par un riff de guitare rageur et très agressif, bientôt rejoint par une ligne de basse groovy. Puis la voix de Robert Calvert attaque, et il annonce la couleur dès le départ.

I'm an urban guerilla, I make bombs in my cellar

Il coche au départ toutes les cases du marginal, du révolutionnaire anti-social, qui perd son sang-froid, qui vit dans un taudis et qui est probablement en réalité un tueur psychopathe.

I'm a derelict dweller, I'm a potential killer

Mais Hawkwind n'est pas un groupe punk. Ils réenchantent le monde, ou au moins ils essayent :

I'm a street fighting dancer, I'm a revolutionary romancer

Les responsables de la désintégration du monde ? Probablement ce businessman à qui le chanteur s'adresse directement :

So watch out Mr Businessman, your empire's about to blow, you know I think you had better listen man, in case you did not know

Plus loin, le chanteur est à la fois "society's destructor, a petrol bomb constructor, a cosmic light conductor, the people's debt collector". Il est à la fois cette force destructrice et un relais pour la lumière cosmique. Toute la chansons évoque ce balancement entre un monde contemporain à attaquer, à faire exploser, et la magie, l'art, les fleurs, la dance, le romantisme fou de ce guérillero urbain. Bien sûr, il y a de la mythologie Che Guevarienne dans cette vision. Mais c'est cela qui fait que cette chanson tournait en boucle dans ma tête et dans mes oreilles. La combinaison entre la volonté de faire exploser un monde qui ne satisfait pas, et la conviction que si je dois être un "street fighter", autant que je danse en même temps.